Le 31 mars 2014, la commune du Blanc-Mesnil, administrée depuis près de quatre-vingts ans par le Parti communiste français (PCF), a vu le candidat Les Républicains (LR) gagner l’élection au second tour. Le candidat de droite l’a emporté grâce aux suffrages de certains bureaux de vote où le PCF réalisait ses meilleurs scores, quarante ans plus tôt. Certains des candidats ayant contribué à la victoire de la liste LR ont grandi dans les familles ouvrières et immigrées des cités de la ville. Ils ont participé à la vie associative et ont travaillé dans le secteur éducatif. Alors que leurs trajectoires professionnelle et militante pouvaient les prédisposer à être, sinon les « héritiers », du moins des partenaires de la gauche municipale, comment expliquer leur soutien et leur participation à une liste d’opposition ? Est-on vraiment passé de la « banlieue rouge » à une « banlieue bleue » ?

Pour répondre à cette question, nous avons choisi de délaisser les traditionnelles analyses électorales pour aborder la représentation des « quartiers populaires » sur la scène électorale. Ainsi, la thèse s’intéresse aux processus de production de porte-parole et à l’accès au pouvoir municipal dans une perspective sociologique et historique. Pour ce faire, elle s’appuie sur des entretiens approfondis et croisés avec les différents protagonistes, sur des observations, ainsi que sur l’analyse d’archives et de statistiques. L’étude de la représentation électorale des habitants des cités permet, tout d’abord, de constater l’émergence de nouveaux porte-parole : les « éducateurs de cité ». Ces métiers (animateur, assistant d’éducation, éducateur sportif) sont devenus une filière propice pour accéder au pouvoir local dans les quartiers populaires. Ils offrent un nouveau modèle de militantisme et font de l’encadrement de la jeunesse populaire un nouvel enjeu de luttes.

Or les éducateurs de cité rencontrent de multiples difficultés pour intégrer les listes d’union de la gauche. Ils ont beaucoup de mal à faire reconnaître leurs compétences ; les associations dont ils sont issus sont parfois en conflit avec les élus et militants de la gauche locale ; enfin ils souffrent aussi de discriminations et de leur exclusion des réseaux clientélistes. Ainsi, la mobilisation des éducateurs des cités aux élections se déroule en plusieurs temps, passant de la recherche d’alliances avec la gauche municipale à des logiques de concurrence partisane, puis d’opposition. Pour autant, l’alliance de certains éducateurs avec la liste LR ne vaut pas adhésion aux programmes ou aux valeurs de droite. Plusieurs élus et porte-parole de cité ont marqué leur distance avec la majorité municipale, en se retrouvant ainsi en situation de porte-à-faux.